Quelle est l’origine du film ?
Il s’agit d’une histoire que j’ai toujours voulu raconter. Le titre original du film (en coréen) est “Pa-Soo-Kkoon”, qui signifie “attrapeur”. C’est aussi le titre coréen du roman de J. D. Salinger, “L’attrape-cœurs” (1951), qui m’a inspiré pour LA FRAPPE. Avec en arrière-plan une gare abandonnée et un sinistre complexe d’appartements à Séoul, le film décrit des adolescents vulnérables qui finissent par se faire du mal alors qu’ils cherchaient juste à se protéger.
Je voulais faire ce film pour moi-même et le voir dans une salle de cinéma. Je voulais qu’il aborde le thème de la solitude, des relations humaines, de la mort.
Fils unique de deux parents qui travaillaient, j’ai été habitué très tôt à la solitude. J’étais la plupart du temps seul après l’école et ma mère, qui adorait le cinéma, me laissait des piles de cassettes VHS de films qu’elle enregistrait à la télévision. Je me passais et repassais ces cassettes inlassablement…
Est-ce un film autobiographique ?
L’histoire telle que je la raconte est 100% fictive. Mais je me retrouve clairement dans les émotions et les conflits intérieurs exprimés dans le film. De l’âge de 9 à 10 ans, j’ai vécu aux Etats-Unis dans une petite ville près de Los Angeles. A l’école, je savais déjà que j’étais différent de la plupart des enfants. J’étais intégré mais je ne voulais pas passer du temps avec les autres après les cours. J’étais indépendant et respecté et on disait que je voulais m’imposer, exister, être important. Puis de retour en Corée pour le collège et le lycée, je me souviens avoir ressemblé au personnage de Ki-tae : un ado insouciant et vulnérable en son for intérieur qui jouait au macho devant ses camarades. Je n’aimais pas être ignoré et je pouvais montrer mon affection pour les choses d’une manière agressive…
Le film commence avec une scène très violente, dans laquelle Ki-tae tabasse un autre élève devant toute une bande de camarades qui assistent à la scène sans broncher…
Je voulais qu’il n’y ait aucun doute sur le caractère violent du personnage de Ki-tae et ainsi détruire d’emblée la perception conventionnelle que l’on aurait pu avoir sur ce personnage.
Quant aux garçons qui assistent à la scène sans bouger, en fait c’est très souvent ce qui arrive dans les lycées coréens : quand il y a une bagarre, tout le monde reste là à regarder. J’ai pensé que cette scène pouvait être une métaphore de la société coréenne, dans laquelle il arrive parfois des choses tragiques et personne ne fait rien pour les arrêter.
Quelle est votre perception du système scolaire coréen ?
On est comme un cheval de course. Et c’est mon expérience à l’étranger qui m’a fait très tôt réaliser la nature du système. Le champ de courses devient notre seul environnement et on apprend uniquement à entrer en compétition sans même savoir où cela nous mène au bout du compte.
Être admis dans certaines écoles devient un rêve, mais ne nous aide pas à savoir ce que l’on veut faire au final, ne nous donne aucune direction. On nous fait fantasmer que si l’on sacrifie nos années au collège et au lycée, on sera récompensé par quelque chose de merveilleux dès que l’on entrera à l’université. Je savais dès le début que ce qu’ils disaient était une illusion. Je savais que plancher sur des problèmes mathématiques ne pouvait pas m’amener là où j’avais envie. Je suis convaincu que j’avais raison. Le système ne nous permet pas d’être qui l’on est ou ce que l’on veut être. Il nous rappelle constamment ce que les autres veulent de nous. On devient donc inévitablement vulnérable, sur la défensive et l’on commence à faire et dire des choses que l’on ne pense même pas.
Je ne veux pas généraliser mais je pense que beaucoup d’hommes en Corée développent un certain sens de la culpabilité au cours de ce processus global qui consiste à entrer à l’université, obtenir un emploi et avoir des enfants. Cela peut se refléter dans leurs relations passées avec leurs ex-copines, dans ce qu’ils ont vécu lors de leur service militaire et surtout, ou dans des situations où ils ont eu à frapper quelqu’un pour survivre…
C’est aussi le sujet du film : grandir, devenir adulte, d’une manière extrêmement douloureuse, avec beaucoup de désillusion et un sens de la culpabilité exacerbé.
Y a-t-il réellement énormément de violence dans les lycées coréens ? Le cas échéant, que font les enseignants ? Ceux-ci sont d’ailleurs complètement absents de votre film…
Honnêtement, je pense qu’il y a même beaucoup plus de violence que ce que je montre dans le film. Certains de mes amis sont venus voir le film et m’ont dit après la projection que le film était trop édulcoré ! La réalité est bien plus dure. L’ironie c’est que si j’avais filmé cette violence, les gens l’auraient trouvée trop cinématographique, trop artificielle. Par exemple, dans la réalité, la violence peut s’illustrer par l’utilisation de crayons comme armes et que l’on retrouve enfoncés dans le visage d’adolescents… Quand j’ai écrit le scénario, je me suis moi-même fait la réflexion que ce que j’écrivais était beaucoup moins violent que la réalité, mais je ne voulais pas courir le risque du moindre artifice.
Quant aux enseignants, ils sont eux-mêmes très violents, à la fois physiquement et psychologiquement ! Le degré de violence dans les lycées coréens est tel que les rixes entre élèves ne semblent en rien extraordinaires pour les professeurs… C’est pour cela que j’ai choisi de ne pas les montrer dans le film, cela traduit la perception qu’ont les adolescents de leur scolarité en Corée…
Pourquoi avoir introduit dans le film le personnage du père ?
Le personnage du père était important pour comprendre à quel point les parents peuvent être déconnectés du monde de leurs enfants. Sans ce personnage, on n’aurait pas perçu l’immense fossé qui existe entre ces deux mondes. De la même façon que l’on voit que les garçons se comportent totalement différemment – généralement toujours très poliment – dès lors qu’ils sont face à des adultes.
Quels réalisateurs admirez-vous ?
J’aime beaucoup les films de Gus Van Sant, en particulier ELEPHANT, son style narratif est révolutionnaire. Et j’ai été très impressionné par RAINING STONES de Ken Loach dont les personnages m’ont bouleversé. Je trouve que l’un comme l’autre pose des questions relatives à l’humanité essentielles. Est-ce qu’il y a une justice ? Est-ce qu’il y a un dieu ? Leur façon de s’emparer tous deux de la réalité, dans un langage cinématographique, est simplement exemplaire.
Des grands cinéastes tels que Bong Joon-ho ou Luc Dardenne ont salué votre film.
Je les respecte énormément mais en tant que réalisateur, on ne peut pas dépendre uniquement des critiques ou du public, d’autant que ce n’est parfois qu’une question de chance. J’ai eu cette chance mais au final je veux continuer à faire des films en toute liberté, même si je dois les faire de façon artisanale. Je veux rester fidèle à moi-même, me reconnaître dans chacune de mes réalisations et m’améliorer de film en film.
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