par Marie-Orange Rivé-Lasan et Eunsil Yim
Le terme « suneung » est une abréviation en coréen de l’expression « suhak neungnyeok siheom » qui signifie littéralement “test d’aptitude d’études” qui est devenu en Corée du Sud l’examen incontournable de fin d’études secondaires qui permet l’accession à l’université. Cette épreuve décisive ne sanctionne pas seulement un niveau d’études qui correspondrait à notre baccalauréat, mais génère un classement national de tous les candidats. En fonction de ce classement, les candidats peuvent prétendre à entrer dans les meilleures universités, elles-mêmes classées au niveau national. En fonction de leur rang, elles attirent les meilleurs candidats. Les trois plus prisées aujourd’hui sont désignées par le sigle « S K Y » plein de promesses liées à la Seoul National University, à la Korea University et à l’Université Yonsei. Entrer dans une de ces universités permet d’accéder à un réseau de relations proche du pouvoir économique et politique. Cela constitue un facteur d’ascension sociale, une possibilité d’obtenir des postes rémunérateurs et la perspective de conclure de bons mariages, ce qui est convoité par les classes moyennes. Leurs enfants sont préparés longtemps à l’avance, dès le jardin d’enfants et à grands renforts de cours extra-scolaires onéreux dispensés par des établissements de tutorat privés, les « hagwôn » –les quelque 100 000 instituts privés du pays générant environ 2% du PIB–, auxquels environ trois élèves sur quatre ont recours. En effet, aujourd’hui il n’est pas rare que les familles se sacrifient pour financer les études de leurs enfants en leur consacrant près de 1000 euros par mois et par enfant jusqu’à la fin du lycée, afin d’obtenir le meilleur classement possible au suneung. En plus de cela, il leur faudra payer encore les frais universitaires qui sont très élevés même dans le cas des universités non privées.
Le Centre d’Etudes et de Recherches Internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) relate que chaque année, le jour du suneung, le pays tout entier retient son souffle : la plupart des bureaux et administrations sont fermés ou ouvrent plus tard afin de ne pas gêner l’arrivée aux centres d’examen, les élèves retardataires sont acheminés par la police, et la totalité de l’espace aérien est fermé durant l’épreuve de compréhension orale d’anglais…
Traditionnellement, la culture confucéenne met l’accent sur l’éducation, comme c’est le cas en Chine et au Japon. En Corée, il existe une culture millénaire des concours de recrutement des fonctionnaires lettrés et les diplômes ou les titres sont socialement valorisés. On parle depuis les dix dernières années de “fièvre éducative”, car un véritable business de l’éducation, couplé à l’obsession et au stress des parents qui considèrent leurs dépenses exorbitantes dans l’éducation comme un investissement pour l’avenir économique de leur famille, conduit à une pression énorme sur les enfants (ceux-ci étudient ainsi en moyenne 50 heures par semaine, soit 16 de plus que la moyenne des pays de l’OCDE). Une forte baisse de la natalité en découle directement (le taux de fécondité est de 1,15 enfant par femme –le plus faible de l’OCDE) car on n’envisage plus de faire des enfants si on n’est pas capable de faire face aux dépenses socialement « supposées nécessaires » pour des « bons parents ». Les conséquences démographiques en sont très préoccupantes en terme de vieillissement de la population et transforme la société sud-coréenne en induisant une immigration inévitable de main d’œuvre étrangère.
Les exigences de la société de consommation sud-coréenne hyper-technologique entraînent des abus et des conséquences surtout pour les jeunes qui se retrouvent spoliés de leurs jeunesses et brisés psychologiquement. En témoigne, le taux de suicide très élevé chez cette catégorie de la population (devant le Japon) que l’on peut observer, ainsi que les nouveaux mouvements de ras-le-bol qui se propagent actuellement dans la jeunesse.
Il existe en Corée des centaines d’universités payantes qui ne garantissent pas du tout pour la plupart l’accession au statut social visé et qui produisent en masse des générations de diplômés chômeurs frustrés, marginalisés et déconsidérés socialement, qui menacent potentiellement l’ordre social si cher aux dirigeants conservateurs.
En bref, pour les jeunes Sud-Coréens et leurs familles réussir le suneung, c’est réussir sa vie !… et le rater, c’est l’Enfer… pas seulement pour les lycéens, mais pour toute la société.
Marie-Orange Rivé-Lasan, Historienne, Maître de conférences à l’Université Paris Diderot (UPD) / UMR 8173 Chine, Corée, Japon (EHESS-CNRS-UPD) et Eunsil Yim, Anthropologue, UMR 8173 Chine, Corée, Japon (EHESS-CNRS-UPD)
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