Puisque tout le monde y va de sa tribune, de son coup de gueule, de son chant du cygne, je vais moi aussi m’essayer à cet exercice (même si on connaît la chanson), dans un souci de représentativité – parité oblige.
Et si d’aventure, le quota de femmes était déjà dépassé, je pourrais toujours me réclamer de nombreuses autres minorités, visibles et invisibles, dicibles ou indicibles, comme celle qui continue d’aimer les films de Jean-Claude Brisseau en 2020 ou celle qui ne distribue que des films non agréés1, et ceci, quoiqu’il arrive, en toute amitié et solidarité pour ceux et celles qui partagent vraisemblablement avec moi l’amour du Septième Art et le plaisir de découvrir ou redécouvrir un film en salles !
Plongée dans les images depuis toute petite (un peu comme le personnage de la série Dream On, Martin Tupper), et en particulier le cinéma américain des années 40, 50 et 60, ma fascination pour le cinéma m’a rapidement incitée, une fois étudiante, à créer de toutes pièces une revue étudiante de 4 pages dédié aux sorties culturelles (cinéma, théâtre, littérature, musique – 1 page par rubrique), pour pouvoir nouer avec les établissements culturels locaux des partenariats : s’agissant de ma rubrique (le cinéma), ils nous donnaient des places en échange de critiques – positives ou négatives, peu importe –, apparaissant dans la revue. Voilà, je pouvais désormais aller voir un maximum de films en salle, sans dilemme budgétaire. Et c’est ainsi que j’ai diversifié mon bagage cinématographique jusque-là essentiellement cantonné aux films américains. A moi désormais les cinémas du monde et… le cinéma français ! 😉
Adolescente, les sorties au cinéma en famille étaient souvent une fête pour moi, d’autant que les films choisis étaient toujours spectaculaires : Spartacus ou la trilogie Musashi toute l’après-midi au Max Linder Panorama (avec entractes), L’Empire contre-attaque ou L’ours au Kinopanorama, ou bien les films de wu xia pian au Ciné Orient de la rue Dunois, sans oublier le traumatisme vécu après avoir été refoulée d’un cinéma car je n’avais pas l’âge requis pour aller voir Blade Runner…
Etudiante, je tenais ma vengeance : avec ma revue culturelle, je pouvais désormais aller voir les films de façon illimitée et apprécier le plaisir solitaire du visionnage sur grand écran – je fais partie de cette catégorie de spectateurs qui vont découvrir les films seuls dans… 80% des cas (et de surcroît apprécient les séances aux heures creuses) !
Plus tard, lorsque j’ai commencé à travailler, je me suis rabattue le week-end sur les séances de 9h de l’UGC Ciné Cité Les Halles, plus abordables et confortables pour la spectatrice assidue que j’étais : je me rappelle encore de la gifle (et de la nausée matinale) en découvrant Breaking The Waves ou Ceux qui m’aiment prendront le train. Puis avec les systèmes de carnets indépendants avec des tarifs réduits utilisables dans plusieurs salles, j’ai commencé à fréquenter les salles de cinéma art et essai : Henry, portrait d’un serial killer à l’Espace Saint Michel (nous étions deux dans la salle et l’autre spectateur ressemblait au protagoniste du film…), Persona au Saint André des Arts, Le miroir au Champo, Les amants du cercle polaire au Latina, Epouses et concubines à la Pagode, Chomsky, les médias et les illusions nécessaires au République, Le mariage des moussons au Studio 28… mais aussi Les Contes de la lune vague après la pluie à la Cinémathèque des Grands Boulevards ou La vie comme ça au Forum des Images… J’ai conservé chacun de mes tickets de cinéma !
Encore plus tard viendront Midnight (La baronne de minuit), en plein air au Parc Monceau, ou Pour rire !, au bord du Canal Saint Martin, dans le cadre de « Cinéma au clair de lune », Les larmes amères de Petra von Kant au Centre Pompidou, Une part du ciel dans un camion mobile à la Fête de l’Humanité, Des trous dans la tête ! au Théâtre de l’Odéon… Il est vrai qu’à Paris, ce ne sont pas les occasions de voir les films sur grand écran qui manquent ! Assurément un privilège.
Beaucoup plus tard (ou non), grâce à la chance de pouvoir voyager durant les festivals (ou non), j’ai continué à fréquenter les salles obscures partout où je vais, parfois même davantage pour le plaisir d’aller en salle que pour le film lui-même (car la salle est à mon sens aussi importante que le film) : comment en effet rester insensible à l’atmosphère extraordinaire de salles tour à tour mythiques, uniques et insolites que sont le Friedrichstadt Palast ou le Kino International de Berlin, le Castro Theatre de San Francisco, l’Electric Cinema de Londres, le Cine de Chef de Séoul et Busan, les Galeries de Bruxelles, le Ciné Lumière de Taipei, le micro-cinéma Uplink de Shibuya à Tokyo (doté de 40 sièges), le micro-multiplexe CGV au sein de l’hôtel Liberty Central Citypoint de Saigon (10 salles pouvant contenir 10 à 20 personnes), ou encore le bar Bear’s Place de Bloomington près de Chicago (investi tous les mois par Ryder Films qui y organise des projections en mode cabaret, où l’on peut commander à manger et à boire à chaque changement de bobine… oui, vous avez bien lu : du 35mm !).
Aujourd’hui la plupart des salles sont fermées un peu partout dans le monde, pandémie oblige.
Je continue à regarder les films en DVD ou en streaming. Mais oui, je ne vais tout de même pas faire la grève du visionnage ! J’aime toujours le cinéma, et bien que j’aie une nette affection pour le cinéma sur grand écran, je ne vais pas me priver du plaisir de regarder un film, « sur tous supports connus ou inconnus à ce jour », y compris sur un écran de 15 pouces, même si l’expérience est évidemment différente.
Et quand les salles rouvriront, non seulement dans le respect des protocoles sanitaires en vigueur et en tenant compte de l’évolution de la pandémie – chiffres à l’appui –, je retournerai en salles.
Ce n’est pas parce que j’ai regardé des films à la télévision, en VHS, DVD, DviX, en vidéo à la demande, en streaming ou sur Youtube (!) que je ne retournerai pas au cinéma et n’éprouverai pas le plaisir que j’ai toujours éprouvé !
Cela dit, soyons honnêtes : jamais je n’aurais pu découvrir Highway avec Alia Bhatt et Randeep Hooda, drame indien insortable sur le marché français, Night’s Tight Rope de Yukiko Mishima, film de genre japonais d’une réalisatrice inconnue dont la sortie aurait été tout aussi kamikaze en France, ou encore l’hilarante comédie sud-coréenne All About My Wife de Min Kyu-dong, sans les plateformes de streaming ou mes déplacements en avion (et du coup sur un écran de moins de 20 cm !). Mais également un certain nombre de séries ou mini-séries d’excellente facture, toutes nationalités confondues et toutes plateformes confondues : Stranger, Collateral, Unbelievable, House of Cards (la version britannique), Braquage à la suédoise, Criminal Justice etc.
Et jamais je n’aurais pu découvrir en salles Death in the Land of Encantos de Lav Diaz (9h03) si je ne l’avais pas distribué moi-même ! LOL
En revanche, je ne retournerai pas au cinéma si les protocoles sanitaires ne sont pas respectés ou surtout en mesure d’être respectés (par les lieux ou par les spectateurs), ou si la situation ne le permet pas au regard des faits scientifiques (que l’on peut éventuellement prendre le temps de fact-checker en lisant la presse – généraliste et spécialisée – étrangère, en cas de défaillance des sources locales…).
Parce que ma santé et celle des autres prévalent, quand bien même ma santé économique en souffre, en tant que distributrice et productrice de films. C’est aussi simple que cela.
Oui c’est difficile pour tout le monde (en particulier les restaurants, bars, discothèques, hôtels, maisons d’hôtes, gîtes etc.) mais certainement aussi pour ceux qui restent ouverts et pour lesquels les conditions de travail sont peut-être encore pires que pour ceux qui sont obligés de fermer. Et cela ne concerne pas que les commerces, mais aussi les salariés, ou pire encore non-salariés, de tous les secteurs.
Tout le monde (ou presque) est touché, c’est le principe-même d’une pandémie. Mais nous sommes vivants. Et résister, c’est créer.
Vous l’aurez compris, ce billet aurait pu tout aussi bien s’intituler : ceci n’est pas un coup de gueule.
BQT
Note
- Dans notre industrie cinématographique, il y a deux types de subventions gérées par le Centre National de la Cinématographie et de l’image animée (CNC) : celles dites « sélectives » (que l’on reçoit éventuellement après délibérations de commissions spécifiques) et celles dites « automatiques » (que l’on reçoit, comme son nom l’indique, automatiquement lorsqu’un film est dit « agréé », c’est-à-dire répondant à des critères artistiques et économiques mettant en avant des talents et prestataires français). Si l’on distribue ou produit des films étrangers où la part française est minoritaire (et sans qu’il existe de traité de coopération économique spécifique entre les pays concernés), alors les films ont de très fortes chances de ne pas être agréés et de n’être donc éligibles qu’aux aides sélectives. Il s’agit simplement d’une prise de risque beaucoup plus forte que dans le cas des aides automatiques, ce pourquoi, la plupart des acteurs économiques de cette industrie préfèrent légitimement minimiser les risques en essayant de produire et distribuer un maximum de films agréés. Asi es la vida.
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