Hélas, à 76 ans le réalisateur Koji Wakamatsu (1936-2012) s’en est allé…
Cette année l’avait particulièrement consacré : “11/25: The Day He Chose His Own Fate”, son film sur les derniers jours de Mishima, avait été présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, “The Millenial Rapture” au Festival de Venise, et, aux côtés des deux premiers, “Petrel Hotel Blue” au Festival de Pusan, où il a, il y a moins de deux semaines, reçu le Prix du Meilleur Cinéaste Asiatique de l’année. A Miyagi, sa région natale, il recevait également cet automne un Prix prestigieux récompensant un artiste japonais, au-delà du seul monde cinématographique.
Pourtant, jusqu’en 2007, seule une poignée de critiques et de cinéphiles particulièrement pointus connaissaient le cinéma de Koji Wakamatsu, cinéaste japonais pourtant prolifique, fort de ses plus de 130 films réalisés en 50 ans depuis les années 60.
Pourquoi un tel “oubli” ?
C’est que Koji Wakamatsu, réalisateur autodidacte, a plutôt commencé sa carrière à Tokyo sur les plateaux de tournage comme… yakuza, chargé de surveiller le bon déroulement des tournages dans le quartier interlope de Shinjuku ! Jeune, bagarreur et révolté (déjà), il ne tardera pas à être mis en prison à la suite d’une rixe. De ce passage dans les geôles, il gardera le goût de la révolte contre l’autorité mais également l’envie de s’exprimer autrement que par la violence au sens propre. Une fois libéré, il renoue ainsi avec les producteurs dont il protégeait les tournages et réussit à travailler comme assistant sur le tournage de productions TV. C’est ainsi qu’il apprendra le métier, en observant son environnement et au gré des petits boulots. Un jour, un producteur TV lui donne sa chance : il la saisit au vol et s’avère excellent réalisateur. Mais à partir des années 60, Wakamatsu, qui n’a rien perdu de sa soif de révolte, décide de créer sa propre société de production, Wakamatsu Production, afin de réaliser les films comme il l’entend : en utilisant la caméra comme arme et le cinéma comme moyen de toucher le public. Ainsi naissait le cinéma du plus révolté des cinéastes japonais.
Grâce au cinéma, Wakamatsu pouvait enfin “tuer” l’autorité à l’écran, en réalisant des films plus subversifs les uns que les autres, où policiers, politiques, patrons n’étaient qu’exploiteurs à éliminer par tous les moyens ! Evidemment, une telle rage créatrice ne pouvait que compter sur elle-même à de nombreux points de vue : Wakamatsu n’a ainsi jamais bénéficié de financements publics et c’est donc tout naturellement qu’il cumulait lui-même toutes sortes de fonctions (artistiques comme techniques) et mettait à contribution ses amis et collaborateurs dans une économie de guérilla qui allait constituer la marque de fabrique de la “méthode Wakamatsu” : tournages en 3 jours, de nuit, avec des chutes de films de commande qu’il réalisait en parallèle le jour, rémunération en nature de ses acteurs (repas, vin, alcools…), utilisation voire destruction de ses biens personnels pour les besoins d’un tournage, montage en quelques heures (puisque chaque scène faisait l’objet d’une seule prise), les exemples sont légion… On comprend mieux ainsi pourquoi Wakamatsu était capable de réaliser parfois jusqu’à dix films en une seule année ! Au passage, fort de ses casquettes multiples, il assurera également la production exécutive de “L’Empire des sens” de son ami Nagisa Oshima. Et soucieux depuis toujours que ses messages politiques atteignent le plus grand nombre (c’était là tout l’intérêt du cinéma pour lui : pas une fin en soi, mais un moyen, une arme), Wakamatsu s’est ainsi réapproprié le genre pink, mélange de sexe et de violence, né au milieu des années 60 à l’initiative des studios japonais pour endiguer la désaffection des salles de cinéma face à l’avènement du téléviseur. C’est ce cinéma-là qui s’est fait connaître auprès des critiques et des cinéphiles les plus pointus du début : un cinéma politique, subversif mais aussi expérimental (Wakamatsu avait découvert “A bout de souffle” de Godard et en avait retenu une formidable leçon de liberté et d’affranchissement de toute grammaire cinématographique), que d’aucuns qualifieront d’avant-garde. Cela a commencé en 1965 au Festival de Berlin lorsque la sélection des “Secrets derrière le mur” a provoqué un incident diplomatique avec le Japon qui considérait le film de Wakamatsu comme une honte nationale. Puis c’est en 1971 que “Les Anges Violés” et “Sex Jack” sont montrés à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, prétexte pour Koji Wakamatsu et son fidèle scénariste, Masao Adachi –tous deux surveillés par les autorités japonaises en raison de leur proximité avec l’Armée Rouge Japonaise–, pour venir en France… avant d’aller au Liban filmer les camps du FPLP de Georges Habache.
Ses activités cinématographiques militantes amèneront Wakamatsu à être interdit de séjour aux Etats-Unis, en Russie et jusqu’à il y a peu, en Chine. Pourtant Wakamatsu n’a jamais appartenu à l’Armée Rouge Japonaise ni à un quelconque groupe. C’est là tout le mystère et le malentendu autour de son personnage : considéré comme un militant d’extrême-gauche, Wakamatsu déconcerte lorsqu’il critique le fanatisme de l’Armée Rouge Unifiée (“United Red Army”) ou réalise un film sur le nationaliste Mishima (“11/25: The Day He Chose His Own Fate”). Pourtant, en examinant attentivement sa filmographie, on retrouve les indices d’une révolte, certes contre l’autorité, mais également contre l’action collective, souvent corrompue par la reproduction du pouvoir et de l’autorité en son sein-même. A l’image de ses films dans lequel on trouve souvent un héros solitaire finissant par mener une action individuelle, Wakamatsu croit essentiellement en l’engagement de l’homme individuel. Mais le postulat de l’engagement solitaire est aussi le risque de l’isolement et de l’incompréhension : farouchement anti-système, le “système Wakamatsu” ne compte que sur lui-même, on l’a déjà dit. Voilà pourquoi seule une poignée de critiques et d’irréductibles cinéphiles connaissaient (voire méconnaissaient) le cinéma de Wakamatsu.
En France, il faut ainsi attendre 2007 pour que le nom de Wakamatsu revienne sur le devant de la scène, suite à la sortie en salles de “Quand l’embryon part braconner” (1966), frappé d’une interdiction de diffusion aux moins de 18 ans ! Film subversif et féministe, le film de Wakamatsu était déclaré “dégradant pour l’image de la femme” ! CQFD.
Par la suite, “United Red Army” (2008) jette le trouble parmi les admirateurs politisés de Wakamatsu qui ne comprennent pas pourquoi le cinéaste s’attarde sur les heures sombres de l’Armée Rouge Unifiée, branche maudite de l’Armée Rouge Japonaise. Film sans concessions de 3h10, “United Red Army” est pourtant le film de Wakamatsu qui va le réconcilier avec le « grand public » (au sens d’un public de cinéphiles élargi) car il est le film le plus habité du réalisateur : mélange tonitruant d’archives documentaires, de fiction, de film de genre et de film politique, cadencé par la musique hypnotique de Jim O’Rourke, “United Red Army” est un film qui fera date dans l’histoire du cinéma, le fruit de la colère d’un homme révolté et non pas le film de propagande que tout le monde attendait. Wakamatsu ne fait pas les films pour faire plaisir à son public, mais parce qu’il le faut, et selon les seules directives de son cœur, disait-il encore récemment au Festival de Pusan.
Suivront “Le Soldat dieu”, pour lequel Shinobu Terajima reçoit en 2010 l’Ours d’Argent de la Meilleure Actrice que lui souhaitait Wakamatsu, ainsi qu’un hommage rendu par le Festival Paris Cinéma la même année, et pour finir, une formidable rétrospective de 40 films que lui consacre la Cinémathèque française.
Pour autant, rien n’a changé dans la méthode Wakamatsu : il écrit, tourne, auto-finance et distribue ses films avec la même frénésie, le même instinct de révolte, la même générosité, sans jamais se soucier du reste. Ses projets à venir incluaient un film sur les femmes de réconfort coréennes et un film sur les expérimentations nucléaires du Japon –deux sujets brûlants, qui n’étonnent guère venant de Wakamatsu. Infatigable, increvable, lorsqu’il s’agissait de tourner, il faut se dire qu’il s’en est allé sans regrets puisque le pire pour lui aurait été de partir en plein tournage. Il faut se dire qu’il nous a laissé un précieux héritage à découvrir et redécouvrir, à travers bien sûr son impressionnante filmographie mais surtout le parcours d’un homme qui s’est forgé seul, pour lequel le cinéma n’a jamais été autre chose qu’un moyen et en aucun cas une fin. Une extraordinaire leçon de vie et… de cinéma
BQT
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