La première projection française en 2008, par Cinéma du réel, de DEATH IN THE LAND OF ENCANTOS fut pour beaucoup une révélation. Ceux qui alors rencontrèrent Lav Diaz (qui présidait le jury du festival) partirent à la découverte d’un véritable continent cinématographique, que les spectateurs de Venise, Rotterdam ou Fribourg avaient avant eux exploré. Les spectateurs de 2008 racontent encore comment ils sentirent les frôler le vent venu du volcan Mayon; comment ils prirent la mesure d’une lointaine catastrophe qui les faisait eux aussi trembler; comment ils comprirent les tourments d’un peuple et les épiphanies d’un poète. C’est sans doute que DEATH IN THE LAND OF ENCANTOS accomplit, dans l’œuvre désormais si vaste de Lav Diaz, une de ses plus belles synthèses entre histoire et rêverie, entre observation documentaire et scénario, entre engagement et création. On y trouve tout ce qui anime et inquiète le cinéaste : l’interminable violence de l’histoire philippine, le destin de l’artiste et du poète, les fantômes et les êtres surnaturels qui hantent le présent, la constante référence à la littérature russe, celle de Dostoïevski et Tolstoï. Dans ce qui reste aujourd’hui le meilleur entretien avec le cinéaste, le critique philippin Alexis Tioseco rappelait le vers célèbre de Rilke (« Car le beau n’est que ce degré du terrible qu’encore nous supportons et nous ne l’admirons tant que parce que, impassible, il dédaigne de nous détruire. »). Au pied du volcan Mayon, magnifique et dangereux, le poète part à la recherche de vérités qui seront peut-être sa perte. Le temps merveilleusement sculpté du plan, la rigueur du cadre, l’ascèse du noir et blanc, mais aussi la colère politique qui anime l’enquête, disent assez que pour Lav Diaz, la recherche de la beauté se doit d’être périlleuse recherche de la vérité.
Un an après cette première projection parisienne, Alexis Tioseco et sa compagne Nika Bohinc furent assassinés par des cambrioleurs meurtriers, à Quezon City. Ils avaient 28 ans, quand la violence philippine les arracha à leurs familles, à leurs amis et aux cinéphiles du monde entier.
Marie-Pierre Duhamel Muller
Programmatrice de Cinéma du réel 2004-2008